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“Il faut un lobbying d’engagement pour défendre le projet européen”
Entretien avec Stéphane Desselas, président-fondateur d’Athenora Consulting
Pro-européen convaincu, Stéphane Desselas préside Athenora Consulting, un cabinet de lobbying fondé en 2003 à Bruxelles. Défenseur d’un lobbying éthique, transparent et engagé, il analyse ici les mutations profondes que traverse l’Union européenne, et la manière dont les acteurs européens peuvent – et doivent – s’impliquer.
Avec la situation géopolitique actuelle, l’Union Européenne traverse une période de doutes. Est-on à un tournant ?
Stéphane Desselas : Oui, clairement. Rappelons que l’Union Européenne est née après la seconde guerre mondiale, dans un souffle d’espoir et avec des idéologies fortes : construire et cheminer ensemble vers des objectifs communs, ne plus jamais se faire la guerre… C’était un projet innovant, presque utopique, mais qui s’est concrétisé grâce à la génération de l'après-guerre, ce que j’appelle la génération des bienfaisants. Aujourd’hui, cette dynamique est en train de s’épuiser. Il y a un divorce grandissant entre les institutions européennes et l’opinion publique. En 2024, pour la première fois, le Parlement européen est composé de nombreux partis europhobes puissants, c’est un vrai virage pour l’Institution.
Ce tournant impacte également le lobbying et la manière dont il se déploie n’est-ce pas ?
Stéphane Desselas : Tout à fait. Il y a une pression croissante à Bruxelles. Je ressens cette guerre d’influence entre ceux qui souhaitent affaiblir l’Union Européenne de l’intérieur, et ceux qui sont attachés au projet européen. Je pense que chaque lobbyiste doit prendre ses responsabilités pour faire son travail tout en restant fidèle à ses valeurs. Personnellement, j’ai choisi de défendre les valeurs européennes auxquelles je crois profondément. On ne peut plus se contenter de défendre des intérêts sectoriels en vase clos. Il faut défendre un projet plus grand. Le lobbying doit devenir un lobbying d’engagement et jouer son nouveau rôle pleinement.
Quel est ce nouveau rôle que vous évoquez ?
Stéphane Desselas : Les grands enjeux contemporains tels que la sécurité, le climat, la souveraineté économique, dépassent largement les logiques sectorielles. Tous les acteurs doivent se positionner. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de défendre un quota, un délai ou l’amendement d’une directive, il s’agit de contribuer à un récit commun, à une vision. C’est aussi ça, le rôle du lobbying engagé : participer à la bataille des idées.
Le lobbying est-il consubstantiel à la construction européenne ?
Stéphane Desselas : Oui, on pourrait même dire qu’il est né, sous sa forme européenne, à Bruxelles, avec elle. Dans les années 1950, les agriculteurs ont été les premiers à structurer leur représentation auprès des institutions naissantes, pour peser sur la Politique agricole commune (PAC), une des premières politiques purement européennes. Le lobbying s’est développé parce qu’il y avait un besoin : les Institutions voulaient des retours concrets du terrain. Depuis, c’est une interaction permanente. L’Union Européenne évolue, le lobbying aussi. Aujourd’hui, on est entré dans une nouvelle phase, plus politique, plus idéologique.
Quel regard portez-vous sur les transformations économiques de l’Union Européenne ?
Stéphane Desselas : On est à la fin d’une époque. Le libre-échange sans limites, la concurrence ouverte, la naïveté vis-à-vis de certains partenaires, tout ce que l’on a connu est remis en question. Les Etats sont de plus en plus protecteurs. La sécurité au sens large est vraiment devenue une priorité. Je crois que l’Union Européenne peut retrouver une légitimité si elle redevient ce rempart, cet outil de protection qui était l’un de ses piliers lors de sa création. Mais pour ça, elle doit être portée politiquement, et défendue avec clarté en termes de valeurs, de culture et de civilisation. Pourquoi ne pas plaider la cause d’un “nationalisme européen” pour faire bloc face aux nouveaux empires ? Ce n’est pas le projet européen des origines mais peut-être celui qui convient à notre époque ?
Les citoyens ont-ils un rôle à jouer dans cette transformation ?
Stéphane Desselas : Leur rôle est central. Ce sont eux qui donneront, ou non, une nouvelle légitimité au projet européen. Ce sont leurs votes, leurs mobilisations, leurs choix qui feront la différence. Mais les institutions et les influenceurs – dont nous faisons partie, nous les lobbyistes – ont aussi une responsabilité. On ne peut plus rester passifs. Il faut aller chercher l’adhésion, expliquer, convaincre, surtout auprès des jeunes. Cela m'attriste de voir que beaucoup d’entre eux rejettent le projet européen, projet qui fut pour moi un engagement de jeunesse fondamental.
Vous êtes inquiet pour l’avenir de l’Union européenne ?
Stéphane Desselas : Inquiet, non, je dirais que je suis lucide, surtout. Je ne sais pas si l’Union européenne existera encore sous sa forme actuelle dans dix ou quinze ans. Ce que je sais en revanche, c’est que ce projet reste, malgré ses défauts, le meilleur cadre possible pour préserver la paix, le dialogue et la coopération en Europe. Ce que Churchill disait de la démocratie, « la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres » s’applique également au projet européen.